
La médecine défensive fait partie de la pratique quotidienne de nombreux médecins américains. Elle se manifeste par un test supplémentaire demandé « juste pour être sûr », une consultation ajoutée à un cas de routine, ou l’évitement des patients et des procédures à haut risque.
Lorsqu’ils sont répétés dans l’ensemble du système, ces choix individuels visant à se prémunir contre la responsabilité s’accumulent en une habitude collective qui gonfle les coûts, augmente les risques pour les patients et sape le moral des professionnels. Cet article définit clairement la médecine défensive, la distingue des soins prudents et propose des stratégies pour protéger les patients et les médecins.
Qu’est-ce que la médecine défensive ?
La médecine défensive désigne les actions cliniques motivées davantage par la crainte de la responsabilité que par le bénéfice pour le patient. Elle prend généralement deux formes :
- Comportements d’assurance – demander destests supplémentaires, des examens d’imagerie, des examens de laboratoire ou des références pour prouver que « tout a été pris en compte ».
- Comportements d’évitement – refus d’accepter des patients complexes ou d’effectuer des procédures à haut risque pour limiter les risques juridiques.
En revanche, les soins prudents impliquent des décisions fondées sur des données probantes : prescription d’une IRM ciblée en cas de nouveaux déficits neurologiques, respect des protocoles recommandés par les lignes directrices ou consultation d’un spécialiste lorsque cela est cliniquement justifié. La distinction réside dans l’intention et la valeur attendue – les soins prudents modifient la gestion, tandis que la médecine défensive crée principalement une couverture juridique.
Les médecins eux-mêmes sont souvent confrontés à cette question. Un avocat spécialisé dans les fautes professionnelles et membre de Sermo a fait remarquer, lors d’une discussion sur ce sujet, que l’expression « médecine défensive » était trompeuse : » Ladéfense contre une plainte pour négligence est que vous avez agi raisonnablement dans les circonstances. Si vous pouvez citer des faits cliniques qui correspondent aux directives de ne pas effectuer une étude, vous avez rempli cette condition ». En d’autres termes, la retenue conforme aux lignes directrices n’est pas une négligence – c’est un soin prudent et défendable.
Un médecin urgentiste décrit le dilemme de manière plus viscérale. Il explique qu’aux urgences, les traumatismes crâniens mineurs avec une faible probabilité de complications sont fréquents. Si un patient demande un scanner et que le médecin refuse, toute complication ultérieure pourrait mettre fin à sa carrière. Dans la pratique, beaucoup pensent qu’ils n’ont pas d’autre choix que de demander ce fichu examen, même si les preuves suggèrent le contraire. Cela illustre comment la pression des patients et la crainte des litiges peuvent l’emporter sur le jugement clinique.
Un gynécologue-obstétricien s’est fait l’écho de cette frustration sous un autre angle : « Les patients n’ont pas la connaissance et la compréhension de tous les résultats possibles de l’évaluation clinique et du diagnostic. Nous n’avons pas le temps d’expliquer et de documenter tous les risques et les complications potentielles. Les avocats plaidants sont formés pour trouver ces complications et ensuite invoquer la négligence ou la faute professionnelle. La médecine défensive est là pour rester.
La réponse immédiate d’un pair a été très claire : « Mais le fait est que faire ce qui n’est pas nécessaire n’est pas vraiment protecteur ». Cet échange illustre bien le paradoxe : demander des examens supplémentaires peut sembler plus sûr sur le moment, mais d’un point de vue légal et éthique, ce n’est pas la meilleure défense. Une documentation approfondie du raisonnement clinique est bien plus protectrice que des interventions inutiles.
Selon un récent sondage Sermo sur un petit échantillon, les médecins sont presque également divisés sur la question de savoir si le fait de demander des tests qui ne sont pas censés être cliniquement utiles protège réellement contre les litiges. Ce clivage souligne l’enracinement culturel de la médecine défensive et le besoin urgent de clarifier la frontière entre les soins prudents et les pratiques motivées par la peur.
Médecine défensive contre soins prudents
Pour distinguer les soins raisonnables des pratiques défensives, il faut une norme claire et reproductible. Les soins prudents sont fondés sur des données probantes, alignés sur les lignes directrices et prescrits parce que les résultats modifieraient la prise en charge ou clarifieraient le pronostic. Ils s’appuient sur la documentation du raisonnement clinique, un diagnostic différentiel clair et des plans de suivi qui témoignent d’une réflexion centrée sur le patient. En revanche, la médecine défensive se caractérise par une faible probabilité pré-test, une probabilité minimale de modifier la prise en charge et une motivation principale de protection juridique ou de documentation plutôt que de bénéfice pour le patient.
La bonne médecine exige souvent des seuils de certitude et des filets de sécurité. Le problème éthique se pose lorsque la balance penche vers des tests et des interventions dont la fonction principale est de créer une couverture juridique plutôt que d’améliorer les résultats pour les patients. Pour illustrer ce propos, la recherche et les témoignages de médecins mettent en évidence les comportements d’assurance « positifs » et les comportements d’évitement « négatifs » qui définissent la médecine défensive dans la pratique.
Exemples positifs (assurance) de médecine défensive :
- La prescription d’examens de laboratoire ou d’imagerie inutiles pour des affections qui peuvent être diagnostiquées cliniquement (par exemple, un scanner pour une paralysie idiopathique du nerf facial malgré des résultats d’examen clairs).
- Demander des consultations multiples pour impliquer d’autres collègues dans la prise de décision, principalement pour partager la responsabilité.
- Effectuer des interventions para-cliniques redondantes, telles que répéter des analyses ou des examens d’imagerie, même lorsque les résultats antérieurs sont suffisants.
- Surdocumenter ou exagérer les conditions du patient pour créer un dossier défensif.
- Programmation d’hospitalisations ou de visites au cabinet supplémentaires qui n’apportent qu’une faible valeur clinique, mais qui constituent une trace écrite.
Exemples négatifs (évitement) de médecine défensive :
- Refuser d’admettre des patients à haut risque pour des interventions non urgentes, même si elles sont cliniquement indiquées.
- Éviter les chirurgies à haut risque (par exemple, les cas complexes de neurochirurgie ou d’obstétrique) par crainte des complications et des litiges.
- Exagérer les complications potentielles auprès des patients et des familles afin de réduire les attentes et de se prémunir contre les plaintes.
- Éviter les présentations d’urgence présentant un risque élevé de mortalité, préférant transférer ou retarder les soins.
- Refuser de pratiquer des procédures invasives dans des environnements aux ressources limitées, non pas par manque de compétences, mais par crainte de la responsabilité.
La médecine défensive prend de nombreuses formes dans la pratique quotidienne, et les médecins eux-mêmes reconnaissent souvent qu’elle peut être facilement confondue avec les soins prudents. Le défi pour les médecins est de reconnaître quand l’impulsion de se protéger se transforme en actions qui ne servent plus le patient.
Comme l’a dit un médecin généraliste en Espagne, « je suis d’accord pour dire que la médecine défensive est souvent confondue avec la médecine prudente : « Je reconnais que la médecine défensive est souvent confondue avec la médecine prudente. Demander un test lorsqu’il y a des doutes raisonnables sur l’évaluation clinique n’est pas défensif ; cela fait partie d’une pratique médicale responsable ». La distinction n’est donc pas de savoir si un test est demandé, mais s’il l’est pour le bénéfice du patient ou pour la protection juridique du médecin.
Un récent sondage Sermo souligne ce point : 9 médecins sur 10 sont d’accord pour dire que la décision d’ordonner des tests supplémentaires devrait reposer sur la possibilité de documenter une conclusion clinique claire. En d’autres termes, c’est la documentation du raisonnement – et non le simple volume de tests – qui distingue les soins prudents des pratiques défensives.
Comment la médecine défensive nuit aux patients et aux soins de santé
La médecine défensive a des conséquences réelles pour les patients, les cliniciens et les systèmes de santé. Il ne s’agit pas d’une habitude inoffensive de « prudence supplémentaire » ; elle engendre des coûts mesurables, expose les patients à des risques inutiles et érode la confiance dans la relation médecin-patient.
Impact économique
Les médecins justifient souvent leurs choix défensifs, comme l’a fait remarquer un médecin et membre de Sermo aux États-Unis, qui a déclaré que « personne n’a jamais été poursuivi en justice pour avoir demandé une radiographie pulmonaire inutile ». Ce commentaire reflète un état d’esprit courant : il est plus sûr de prescrire plus que de prescrire moins. Mais comme l’a rapidement répliqué un radiologue, « le problème, c’est quand le patient doit payer la facture ».
Selon des estimations nationales datant de 2024 , la médecine défensive ajouterait entre 46 et 60 milliards de dollars par an aux dépenses de santé aux États-Unis, une charge supportée en fin de compte par les patients, les assureurs et les systèmes de santé. Les examens d’imagerie et de laboratoire supplémentaires protègent peut-être la tranquillité d’esprit du médecin, mais ils font augmenter les primes d’assurance, les frais généraux des hôpitaux et les frais à la charge des patients. Même des analyses prudentes attribuent des milliards de dollars par an aux pratiques défensives.
Risque clinique
Au-delà du coût, les tests inutiles exposent les patients à des risques. Un pédiatre a expliqué: « L’un des principes de la médecine est de ne pas faire de test si cela ne change rien à la prise en charge. Parfois, nous avons plus de résultats que de raisons, par exemple des résultats génomiques dont la signification est incertaine. Si vous trouvez quelque chose de manière fortuite, vous devez alors le traiter ». La réponse du radiologue a été directe : « La médecine est un domaine où ‘Cherchez et vous trouverez’ n’est pas vraiment positif ». Ensemble, ces réflexions mettent en évidence le danger des découvertes fortuites : une fois découvertes, elles déclenchent souvent des cascades d’interventions qui peuvent être plus néfastes que bénéfiques. L’imagerie entraîne une exposition aux radiations, les laboratoires peuvent produire des faux positifs et les résultats fortuits peuvent conduire à un surtraitement.
Contrainte de capacité
Les tests et les consultations de faible valeur consomment des ressources limitées. Les salles de radiologie, les laboratoires et les cliniques spécialisées sont encombrés par des cas qui n’apportent qu’une faible valeur clinique, ce qui retarde l’accès des patients qui ont réellement besoin de ces services. Cette inefficacité peut contribuer directement à l’épuisement des cliniciens et à l’allongement des temps d’attente.
Préjudice moral
La charge émotionnelle liée à l’exercice de la profession dans une crainte juridique constante est parallèle au syndrome de la deuxième victime, dans lequel les médecins souffrent de détresse après des événements indésirables ou des erreurs perçues. Les médecins qui ordonnent des interventions qui ne servent pas le patient se sentent obligés de le faire pour des raisons de protection juridique. Cette dissonance nuit à la satisfaction professionnelle et contribue à l’attrition d’une main-d’œuvre déjà tendue.
Pourquoi les médecins pratiquent-ils une médecine défensive ?
L’anxiété juridique est le moteur principal, mais elle s’inscrit dans un réseau de facteurs de renforcement :
- Culture médico-légale – Unenvironnement juridique dans lequel les résultats négatifs conduisent à des litiges très médiatisés ou punitifs suscite la peur. Ces craintes reflètent des préoccupations plus larges en matière de droit et d’éthique des soins de santé qui façonnent le comportement des médecins dans toutes les spécialités.
- Normes institutionnelles – Lorsqueles services ou les hôpitaux récompensent implicitement le fait de « se couvrir », les cliniciens adoptent ces comportements.
- Incitations et systèmes –Les modèles de paiementà l’acte, l’accès variable à un suivi en temps voulu et les ressources limitées en matière d’observation font de la prescription d’un test supplémentaire la voie de la moindre résistance.
- Risque perçu pour la réputation : au-delà desdommages pécuniaires, les cliniciens craignent les répercussions professionnelles, l’examen par les pairs et les conséquences sur l’accréditation.
La compréhension de ces facteurs permet d’identifier les domaines dans lesquels il est possible d’intervenir : non seulement en matière de droit de la responsabilité civile, mais aussi en matière de flux de travail clinique, de normes de documentation et de normes culturelles.
La meilleure défense est la documentation et les soins raisonnés
Contrairement à l’idée d’empiler les tests, la stratégie la plus éthique et la plus défendable d’un point de vue juridique consiste à fournir une documentation contemporaine de haute qualité sur le raisonnement clinique :
- Clarté du diagnostic de travail et du diagnostic différentiel –Indiquez clairementce que vous soupçonnez et pourquoi.
- Justification du test ou de l’absence de test – Expliquezcomment les résultats modifieraient la gestion ou pourquoi un test est reporté.
- Preuves de communication avec le patient-Notez les conversations sur le consentement éclairé, la prise de décision partagée et les valeurs du patient qui ont influencé les choix.
- Plans d’urgence : documentez lesinstructions de suivi, les symptômes d’alerte et les stratégies de sécurité.
La documentation est convaincante parce qu’elle montre que la prise de décision s’est faite en temps réel, guidée par la raison et les normes, et non pas reconstruite après un événement indésirable.
Le point de vue des médecins sur la documentation
Un anesthésiste de Sermo s’est souvenu d’un cas de résidence où une mère avait résisté à une césarienne malgré des « décélérations très inquiétantes » pendant le travail. L’obstétricien a plaidé pendant des heures, mettant en garde contre les risques terribles, et a finalement obtenu le consentement pour une césarienne d’urgence. Le bébé a été réanimé mais a subi de graves lésions. Deux ans plus tard, la mère a intenté un procès, affirmant que « si seulement » elle avait été informée des dangers, elle aurait donné son accord plus tôt.
Un gynécologue obstétricien a répondu en soulignant le rôle critique des notes contemporaines : « Je me demande dans quelle mesure la documentation a été complète pour démontrer les efforts antérieurs de l’obstétricien. Une simple note au moment de la césarienne peut ne pas être aussi convaincante que plusieurs notes contemporaines rédigées au moment des recommandations initiales – avec les noms des membres du personnel infirmier qui ont témoigné. Ils ajoutent que les patients reconnaissent parfois les risques de décès, mais affirment plus tard qu’ils n’étaient pas conscients de la possibilité d’élever un enfant gravement handicapé.
Ensemble, ces récits illustrent la raison pour laquelle la documentation – et non les tests défensifs – est la véritable garantie. Des notes multiples et détaillées, étayées par des témoins, démontrent que le consentement éclairé a été recherché et que les risques ont été expliqués.
Stratégies pratiques pour réduire la médecine défensive tout en gérant le risque juridique
Ces stratégies peuvent protéger les patients et les cliniciens en mettant l’accent sur la qualité du raisonnement plutôt que sur la quantité de tests :
- Ancrer les décisions dans des lignes directrices et des outils validés – Utiliser desrègles de décision clinique et documenter leur application. Le respect des lignes directrices est une justification solide et objective pour ne pas prescrire des tests de faible valeur.
- Pratiquez et documentez la prise de décision partagée – Discutez desrisques, des avantages et de l’incertitude avec les patients. Notez leurs préférences et la justification du plan final.
- Normaliser les parcours de soins – Lesprotocoles institutionnelsréduisent la variabilité et offrent une protection collective en cas de décisions contestées.
- Améliorer les filets de sécurité et le suivi –Un accès facileet documenté au suivi (visites de retour, contrôles téléphoniques, cliniques d’accès rapide) réduit l’impulsion de surtester en raison de l’incertitude concernant le retour du patient.
- Communiquez clairement lors des transferts et des transitions –Des transferts et des instructions de sortie précispermettent de réduire les malentendus qui peuvent dégénérer en plaintes juridiques.
- Utilisez les ressources de gestion des risques de manière proactive – Consultez leséquipes juridiques ou de gestion des risques pour les cas à fort enjeu et enregistrez ces consultations dans le tableau.
- Enseigner à la prochaine génération – Normaliser le fait dedire « non » aux tests de faible valeur lorsque les preuves le justifient, et modéliser des pratiques de documentation solides.
Ce que cela signifie pour les médecins
Pour les médecins, les implications sont pratiques et morales :
- Protéger l’intégrité professionnelle – Distinguerles soins prudents des pratiques défensives permet de préserver les normes éthiques et de réduire les préjudices moraux.
- Amélioration des soins aux patients : moins d’interventions inutiles signifie moins de dommages et une utilisation plus ciblée des ressources diagnostiques.
- Renforcer la défense juridique –Une documentation claire, l’utilisation de lignes directrices et la prise de décision partagée constituent la défense la plus convaincante dans les contextes juridiques.
- Tirer parti du soutien des pairs –Les discussions confidentielles entre pairs sur les cas limites réduisent l’isolement et améliorent la qualité des décisions.
- Lorsque les cliniciens donnent la priorité à des soins réfléchis et documentés , ils protègent les patients et eux-mêmes plus efficacement qu’en commandant par réflexe des tests de faible valeur.
La médecine défensive est un symptôme systémique d’un environnement juridique et culturel qui privilégie la peur à la raison. Elle gonfle les coûts, expose les patients à des risques inutiles et érode le bien-être des cliniciens. Le remède n’est pas de multiplier les tests, mais de mieux penser, de mieux documenter et d’améliorer les systèmes. En ancrant les soins dans des données probantes, en communiquant de manière transparente avec les patients, en documentant le raisonnement contemporain et en mettant en place des filets de sécurité institutionnels, les médecins peuvent réduire leur dépendance à l’égard des comportements défensifs tout en maintenant leur protection professionnelle. L’échange entre pairs aide les cliniciens à affiner le langage de la documentation, à normaliser les refus de tests de faible valeur fondés sur les lignes directrices et à partager des voies qui concilient la sécurité des patients et la prudence juridique. Ensemble, les médecins peuvent faire évoluer la culture de leur cabinet pour passer d’habitudes motivées par la peur à des soins raisonnés et éthiques, protégeant ainsi les patients, réduisant le gaspillage et rétablissant l’intégrité professionnelle.